CLARISSE HAHN | Mises en scène
In situ 21 mars 2015 - 25 avril 2015L’exposition MISES EN SCENE, de Clarisse Hahn, dépeint multiples aspects
de nos rituels contemporains – le rituel comme spectacle, comme expérience, comme refuge, que ce soit dans un contexte religieux ou dans un contexte profane. Autrefois considérés comme les organes rudimentaires d’un conservatisme social, les rituels ont
été explorés par les artistes comme des formes inhérentes à la modernité, comme des théâtres de pratiques sociales ou de « chorégraphies sociales ». C’est précisément à cette dimension que Clarisse Hahn s’intéresse ici.
Dans son œuvre, le rituel devient le prisme à travers lequel la fabrication des frontières
et de « l’entre-corps » se donnent à voir. Filmant une cérémonie cem au Kurdistan turc,
sa caméra suit les mouvements collectifs et rythmiques des corps chantants et dansants, qui imitent de manière répétitive les gestes du groupe, ou bien qui entrent en état en transe. Le langage corporel, les gestes de complicité et de rivalité, constituent le point focal de la série en progrès « Boyzone », par le biais de laquelle l’artiste analyse les rituels masculins. Pour le nouveau chapitre à découvrir lors de l’exposition (Boyzone – Ranche- ros, 2015), Clarisse Hahn a filmé et photographié des hommes vivant dans le désert sacré de Wirikuta au Mexique.
A Paris, l’artiste a observé des pratiques S.M. et fétichistes, pratiques autrefois considérées comme radicalement minoritaires, mais qui se sont pourtant aujourd’hui largement démocratisées. Dans l’extrême diversité de ces géographies et de ces situations,
sa caméra analyse l’« esprit du corps », renforçant un sentiment de communauté ou de
« communitas » (Victor Turner) comme « anti-structure » rituelle. Juxtaposant des formes archétypales à un ensemble d’expressions liées à des comportements rituels, Clarisse Hahn envisage leur circulation mondiale actuelle.
Dans sa nouvelle série Mises en Scène, l’artiste aborde une question analogue la production, l’appropriation et la circulation mondiales d’iconographies emblématiques dans la presse à scandale. La photographie d’un jeune délinquant, parue dans journal thaïlandais, évoque de manière frappante « La Vocation de St Matthieu » du Caravage, tandis que le corps sans vie d’une femme, étendu sur une place publique thaïlandaise, semble présent- er tous les attributs d’une odalisque classique. L’économie mondiale de l’attention
exige une érotisation de la violence, qui fait émerger cette iconographie hybride et obscène. Parmi les images qui constituent cette série, certaines ont été sculptées à même la pierre. Appliquant une technique traditionnelle de sculpture arménienne, Clarisse Hahn introduit de la monumentalité et de la durabilité dans le présent youtubesque et facebookien qui est le nôtre, un présent caractérisé à la fois par la surabondance des images et, de manière paradoxale, par leur invisibilité.
Les rituels médiatiques actuels, et plus particulièrement les rituels de communication, ont depuis longtemps été conceptualisés en termes de « communauté », évoquant continuellement les notions de « partage », de « suivi » et de « participation ». La production et
le partage des images est devenu un rituel omniprésent, qui donne lieu à « un gigantesque fouillis d’images semi- conscientes » (Hito Steyerl), de la « matière noire » en ligne, en constante évolution. Ces rituels de communication virtuels, sont résolument dépourvus de matérialité corporelle ou de mouvement rythmique coordonné – c’est cette absence qu’étudie Clarisse Hahn à travers cette exposition. En pensant le rituel en tant que forme hybride, l’artiste tente de comprendre la manière dont notre relation à la
« modernité virtuelle » implique un processus infini d’assimilation, de réappropriation et de ritualisation.
Elena Sorokina