« … imaginons chaque mythe comme un polyèdre régulier cristallin, suspendu en apesanteur dans le vide, dont chacun des sommets touche, en parfait équilibre géodésique, la surface d’une sphère imaginaire iridescente. L’intégrité du corps entier dépend entièrement de l’intégrité de ses facettes,
chaque facette représentant une histoire…
L’univers n’est que peu peuplé de ces polyèdres, aussi énormes soient-ils. Ici et là, une faible nébuleuse marque, peut-être, la région où un nouveau mythe s’efforce de prendre forme ; ailleurs, de sombres braises brillent à peine, vestiges d’une expérience perdue à jamais pour la conscience. Un trou déchiré dans le tissu même de l’espace, d’où aucune énergie ne s’échappe, marquerait l’endroit où les polyèdres noirs de l’Inconnaissable se sont évanouis.
Toutes les facettes ne portent pas d’images. Certaines sont poussiéreuses, d’autres fissurées, d’autres encore sont remplies d’images insensées d’insectes, ou encore d’une vague couleur écarlate, parcourue d’étincelles. Certaines sont transparentes comme du gin. Certaines sont brillantes comme des miroirs et reflètent nos propres visages… puis nos yeux… et derrière nos yeux, au loin, nos pensées polyédriques, scintillantes, tournoyantes comme des galaxies.»
Hollis Frampton, On the camera arts and consecutive matters: The writings of Hollis Frampton (p148). R. Krauss (Ed.). MIT Press, 2009.
L’exposition personnelle de Louidgi Beltrame, Fragata magnífica, magnífica fragata, présente un ensemble de films super-8 et de dessins à l’encre sur toile en lien avec les projets récents de l’artiste. Ce titre est aussi celui d’un diptyque de films de frégatidés (fragatas) en vol dans le ciel de Rio de Janeiro. La même séquence d’images est passée en noir et blanc, en négatif et à l’envers pour produire le deuxième film. Ce simple décalage produit une forme d’abstraction de l’image, de par les moyens techniques de son enregistrement et de sa diffusion. Les silhouettes singulières des oiseaux se déplacent dans des directions inverses sur deux écrans installés sur socles, et semblent entrer en résonance avec l’agitation moléculaire du grain de la pellicule.
Un deuxième film intitulé Huancor (2025) montre les pierres marquées de pétroglyphes du site de Huancor dans les Andes péruviennes. Il est accompagné d’une liste détaillant les différentes figures gravées écrite par un archéologue cubain, qui est lue et qui se lit comme un poème dans le film. Les deux autres films dans l’exposition ont eux aussi été tournés au Pérou.
Rose moderne (2025) est une série de plans fixes du palais inca de Puruchuco. Les images du site, adoucies par leur enregistrement en super-8, surprennent par le dépouillement moderniste de ses formes architecturales, ponctuées par l’apparition d’une grue, le sifflement du poète Jorge Eduardo Eielson, ou le profil chaotique de la banlieue de Lima qui l’entoure.