NATHAN BERTET | Le jour est un mélange

Pour sa première exposition personnelle à la Galerie Jousse Entreprise, Nathan Bertet dévoile un ensemble de peintures à l’huile et d’aquarelles, toutes réalisées à Palaiseau. Ville d’origine de l’artiste où il a aujourd’hui son atelier, Palaiseau est pour le peintre une source inépuisable de souvenirs qu’il cartographie minutieusement dans ses œuvres.

Dans un équilibre subtil entre abstraction et figuration, il compose dans son atelier des images évoquant les lieux familiers qu’il arpente depuis l’enfance. Chaque journée se déploie en couleurs pour Nathan Bertet, qui travaille simultanément sur des dizaines de toiles étroitement disposées dans son atelier, gardant chaque scène à portée de vue. Avenues, parcs, lotissements et collines apparaissent comme des perspectives singulières de sa ville natale. Ses œuvres, polysémiques et sans titre, sont ouvertes à l’interprétation. Il peint de petits formats : des images mentales, voluptueuses et harmonieuses, dans un effort pour réaffirmer le souvenir sans support photographique. Pour lui, la persévérance presque mécanique de la mémoire est essentielle ; si celle-ci tâtonne et doute, il doit y retourner physiquement pour confirmer son intuition.

Matière et Mémoire¹ d’Henri Bergson est un ouvrage clé pour saisir la pratique du peintre. Bergson y explore la mémoire et les relations entre le corps et l’esprit, proposant que le passé subsiste de deux manières : à travers des mécanismes moteurs et des souvenirs indépendants. Le travail de Nathan Bertet mobilise ces deux formes de mémoire : la mémoire spontanée de l’image, surgissant comme un instant précis dans le temps, qu’il transpose dans sa peinture ; et la mémoire mécanique, où, par un effort presque mnémotechnique, il fixe ses images en atelier, indépendamment de leur source, dans un acte de rappel volontaire. Son atelier devient, à l’image d’une chambre noire, un lieu de révélation de la mémoire.

Éloigné d’une vision capitaliste et « instagrammable » de l’exotisme et de l’ailleurs, Nathan Bertet rend hommage à Palaiseau, ville imprégnée de ses souvenirs intimes. C’est un artiste qui aime retrouver les lieux qu’il traverse toujours dans la hâte d’y revenir, dans ce désir joyeux de s’y sentir enfin familier. La vie quotidienne, toile de fond ordinaire et discrète, est une trame continue et commune où se sédimentent toutes nos expériences et temporalités passées, jusqu’à ce qu’un détail extraordinaire émerge, révélant la profondeur cachée du banal. L’artiste se situe dans cet interstice, il porte un regard nouveau sur le quotidien, et c’est en s’extrayant du tumulte du présent qu’il peut convoquer le passé, apprécier l’inutile, et cultiver le luxe du rêve.

La question du temps et de la durée est au cœur de la pratique radicale de Nathan Bertet, pour qui chaque toile est un acte de résistance face à l’immédiateté contemporaine. Sa méthode de création, étirée sur deux ans, défie les impératifs de vitesse et de productivité. Il superpose minutieusement des couches de pigments purs, appliquant parfois seulement quelques touches par jour, avant de laisser sécher chaque strate, dans une appréciation profonde des moments de peinture. Inspiré par les maîtres vénitiens et le minimalisme américain, Nathan Bertet instaure un équilibre délicat entre représentation et expression, entre la présence de l’objet et la force du geste.

« Le temps est cette hésitation même² », et c’est précisément dans cet écart que s’inscrit son geste : Nathan Bertet allonge délibérément le temps, il étire chaque étape pour en intensifier la profondeur. Il se place à contretemps, refusant de compresser le rythme de sa création. Son travail impose un ralentissement, affirmant que l’art, loin de céder aux pressions du marché, peut-être un espace où chaque instant s’approfondit, se déploie, et où la lenteur devient une force de révélation.

 ¹ Bergson Henri, Matière et mémoire, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2012

² Bergson Henri, La Pensée et Le Mouvant, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1985, p.101

Margaux Knight

Image : Nathan Bertet, Sans Titre (Rousseau), 2024, huile et pigments sur toile, 14 x 18 cm

Vernissage : 23/11/2024 4:00