Tous les destins s’ancrent dans la rivière. Les eaux pluviales tombent sur les terres, ruissellent à la surface, s’infiltrent dans les sols, elles forment alors des sources qui se mélangent ici pour devenir l’Isère. C’est à la confluence de ces eaux, qui collectent, stockent, érodent qu’Eva Nielsen a emporté sa peinture vers des mondes qu’elle n’avait jusque- là encore jamais explorés : le cuir et la soie. Romans-sur-Isère, où se trouvent les Tanneries Roux, elle y est revenue chaque mois de l’année dernière, alors que nous vivions un dérèglement inouï dans nos relations aux autres, dans
nos mobilités et nos chairs. Peintre, elle a investi avec son matériel l’atelier perché au dernier étage de la tannerie. En s’y installant, elle a vite capté la lumière naturelle chaude et forte de Romans. Captivée par les récits personnels et collectifs qui se déposent en strates sur les lieux, l’artiste a traversé ces paysages qui lui étaient inconnus, quittant
les chemins habituels pour dériver et se plonger littéralement dans des temporalités nouvelles de recherche et de production si précieuses dans une vie d’artiste. (…) Floutant les frontières entre les médiums, les pratiques et les motifs, Eva Nielsen altère la lisibilité et procède à une anatomie de la dévastation du paysage urbain. (…) Tout au long de la résidence, Eva Nielsen a envisagé plusieurs séries de nouvelles peintures, principalement de très grands formats, en commençant par des résidus d’images imprimés sur des transparents accrochés aux murs de l’atelier, puis en s’emparant des chutes de cuir, de toile, dont la maîtrise se précisa chaque semaine, chaque mois avec les équipes de la tannerie et de la soierie. (…)
Avec ces territoires qui ne cessent de se réécrire, Eva Nielsen peint les strates de villes imaginaires ou invisibles, de
la friche à la ville-campagne, villes-sources ou cité-jardin, qui contiennent des chemins transposables qui convergent et divergent comme des transferts d’une forme à une autre. Des formes qui circulent et qui migrent à la manière en quelque sorte d’une ville qui se copie. C’est certainement ici que réside toute la dimension vivante de sa peinture. En analysant au sens chimique les composants d’une ville, d’un territoire entre voyage et immobilité, dessein et désordre, réel et imaginaire, passé et avenir, vide et prolifération, poids et légèreté, invisible et ailleurs, Eva Nielsen ne cesse de traverser son propre cosmos afin d’explorer en profondeur nos multiples manières d’exister.
Picturale pastorale, celle qui relie les sources
Extraits du texte de Marianne Derrien