MADELEINE ROGER-LACAN | Lust and Loneliness | 6 rue Saint-Claude 75003
In situ
11 octobre 2025 - 29 novembre 2025
Nous avons le plaisir d’annoncer la première exposition personnelle de Madeleine Roger-Lacan « Lust and Loneliness » à la galerie Jousse Entreprise au 6 rue Saint-Claude (75003 Paris).
L’exposition Lust and Loneliness de Madeleine Roger-Lacan se lit comme un récit – une autofiction – faisant écho à l’audace de l’ouvrage Body Work de Melissa Febos, tout en s’élançant sans crainte vers une féminité bouleversée. Effusive dans son expression de la rage et du désir féminin, l’artiste représente les lieux où la sexualité féminine se délie, et où le chaos de la maternité se change en monstruosité. L’univers en expansion de Madeleine Roger-Lacan s’incorpore dans des paysages urbains : le lit d’un amant, une rencontre de rue violente ou encore le studio d’une peintre, perçu comme une aire de jeux nocturne. Sa cartographie fertile, brouillonnée par fragments, s’étend du textile à la peinture, couvre la Ville Lumière et les écrans digitaux dans un réseau de selfies, de Street views et de ChatGPT.
Comme si elle enfonçait ses talons dans des étriers de métal glacé, prête à accoucher d’une famille de petits tableaux, Robe Polygame (2025) s’appuie contre le mur de la galerie et écarte largement ses cuisses. Ses formes corpulentes débordent de mémoire et d’envie. Assemblage de dix toiles uniques, cette œuvre se compose d’extraits d’archives personnelles, patiemment reconstitués par l’artiste. Une toile en forme d’hexagone français renversé et couverte de morceaux d’un miroir brisé, brille là où le cœur de cette robe se trouverait. C’est un « Miroir, mon beau Miroir » fracturé, répondant à la question d’Hans Ulrich Obrist dans son Questionnaire « Est-ce que le miroir est brisé ? ». Oui, complètement. À la manière des Tableaux Éclatés de Niki de Saint Phalle, réalisés après la perte de Jean Tinguely et pensés comme des moyens de « réassembler les pièces éparpillées de mon âme et ma psyché », ces flashbacks analogiques des sept dernières années de Madeleine Roger Lacan annoncent un moment de création. Les yeux grands ouverts et le pinceau huilé, l’artiste s’expose seule. Elle met en scène des images qui dérivent vers le fantasme, caressant les corps masculins, glissant hors de la vie ou se dressant dans son anticipation. La béance caverneuse qui s’ouvre entre les jambes de cette figure quasi-déifiée anticipe non seulement la naissance vaginale mais aussi le plaisir polygame primaire. Créant un kaléidoscope de possibilités pour la figuration des hommes et des femmes, la peinture de l’artiste ne se limite pas à une forme maternelle, elle règne sur un royaume au-delà du binaire – au-delà même du seuil de la mort.
Cet été, Madeleine Roger-Lacan a voyagé à travers l’Italie (terre de la « Mecque » architecturale de Niki de Saint Phalle, Il Giardino dei Tarocchi), faisant un pèlerinage vers l’Annonciation de Fra Angelico tout en rendant visite à la dernière exposition de Tracey Emin à Florence. Dans son sac à dos, elle transportait trois petites œuvres, présentées ici : Frustration, Maintenant (quelque chose de perdu) et Le Hasard (les deux dernières étant de lourdes huiles sur bois). De retour à Paris, ces œuvres ont rejoint cinq autres toiles, ainsi que trois œuvres sur papier et une photographie couleur révélatrice, chacune communiquant avec l’autre, d’après l’artiste, comme des frères et sœurs pourraient le faire.
Se trouvaient également dans ce sac de voyage (que j’imagine comme un utérus, où cette exposition s’est formée à mesure que la fille de Madeleine Roger-Lacan grandissait dans son ventre), Oser le nu de Camille Morineau, dans lequel l’abbesse du XIIe siècle Hildegard von Bingen est reconnue comme la première autrice d‘un nu masculin de l’histoire ; Sex at Dawn de Christopher Ryan et Calcida Jethá, une révision des croyances établies sur la nature sexuelle des hommes et des femmes ; ainsi que Vie ? ou Théâtre ? de Charlottte Salomon, un corpus d’œuvre extrêmement inspirant créé par une artiste en exil faisant face à l’inévitable régime Nazi dans le sud de la France. Ces titres répondent à mes questions ainsi qu’à celles d’Obrist, tout en réaffirmant cet adage d’Oscar Wilde « C’est ce que vous lisez quand vous n’avez pas à le faire qui détermine ce que vous serez. »
La Robe de ma fille rayonne au centre du long couloir arrière de la galerie en transformation. Sur le trajet retour, la fresque La Peintre et l’amoureuse se déploie sur la cloison centrale. Ces dernières œuvres offrent une vision d’un avenir dénué de honte envers le landau dans le couloir* – entièrement libéré de la croyance que artiste et mère forment deux entités mutuellement exclusives. Tout sauf une robe de baptême, cette silhouette taille enfant incorpore des scènes d’extase sexuelle fortement colorées, rappelant les sauts fantastiques de l’artiste entre l’infantile et l’érotique. « Le changement qui compte dans la révolution a lieu d’abord dans l’imagination » écrit Rebecca Solnit dans Hope in the Dark. Faisant autrefois référence aux « influences exclues » d’une artiste comme ses « grands-mères », Solnit impose l’imagination – le terrain du fantasme – comme un pouvoir. Pour Madeleine Roger-Lacan, l’imagination vivace et sa transformation alchimique en composition et forme définissent son objectif ultime : « l’acte de peindre et l’acte d’imaginer sont mes buts dans tout cela ». Inatteignables, sauf par le désir.
Lillian Davies
Traduction : Lillian Davies, Rafaël Deville
* The pram in the hall est une expression de Cyril Connolly qui énonce : Il n’y a pas d’ennemi plus sombre à l’Art que le landau dans le couloir.
Vernissage : 11/10/2025 4:00 pm
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