Bain de minuit

MADELEINE ROGER-LACAN

2025

huile sur bois

160 x 160 cm

 

Ce tableau a été réalisé dans le cadre d’une commande pour l’exposition Copistes en collaboration exceptionnelle avec le musée du Louvre présentée au Centre Pompidou Metz du 14 juin 2025 au 2 février 2026.

Le Centre Pompidou-Metz consacre une exposition inédite de création de copistes. La copie est au cœur de la tradition classique : copier d’après les maîtres, apprendre d’eux des techniques, des canons, des récits, absorber leur expertise, c’est faire nôtre leur maestria, c’est une voie pour le savoir et la création, de la plus académique à la plus contemporaine.

Madeleine Roger-Lacan et les autres artistes ont reçu des deux commissaires associés Donatien Grau et Chiara Parisi une invitation ainsi formulée : « À partir de l’œuvre de votre choix conservée parmi les collections du musée du Louvre, imaginez sa copie. »

Texte de Madeleine Roger-Lacan :

2015.
Nu, F. prend la guitare qui traîne et caresse quelques accords. Je photographie son dos, dans la pénombre une lumière souligne son épaule, et la ligne délicate de son ventre se reflète sur le caisson de l’instrument qu’il serre contre lui. Je pense à cette baigneuse au luth d’Ingres. Que faire de cette image ? Elle se glisse dans une des piles de ma mémoire numérique.

2025.
Le Centre Pompidou-Metz m’invite à copier une œuvre du Louvre.
Je pense à Sylvia Sleigh, qui en 1973 remplaça les corps féminins du Bain turc par six modèles masculins. Lorsque Sleigh est née, en 1916, une femme venait de peindre pour la première fois un homme nu*.

*Suzanne Valadon, Adam et Ève, 1909, Paris, Centre Pompidou, musée national d’art moderne. 

Ingres peint Le Bain turc à la fin de sa vie. C’est une peinture rétrospective: le dos de la Baigneuse de Valpinçon, les doigts de Madame Moitessier assise, l’ondulation d’Angélique… Ce génie du collage positionne ses motifs dans un cadre rectangulaire qui se transforme en cours de peinture en ce tondo mythique. Il devient ce joueur d’échecs fou modifiant, déplaçant, ajoutant, effaçant sa composition grouillante.

Ingres, je vous copie à mon tour. Je fouille dans mes piles d’images. Photoshop est mon échiquier. F. prendra le rôle de la baigneuse à la guitare, C. à la tête renversée fera écho à cette tête de femme échouée à droite du tableau. La photo d’E. sur sa bouée-licorne est ma baigneuse qui se prélasse dans le bassin du hammam. Ce bassin devient une piscine en arrière-plan.
La danseuse derrière lui ? C. encore, et son beau corps musclé qui ondule. Et l’enchaînement de ces trois femmes indécemment sensuelles à droite de la baigneuse ? C., D. et L., allongés tous les trois, leurs corps se tournent et se reposent, vulnérables et désirables.
Ce sont mes propres motifs, je prends des libertés avec votre composition, Jean-Auguste-Dominique, mais elle reste ma matrice. Cette frise de femmes au fond de votre toile, pourquoi ne pas la remplacer par les bas-reliefs de lutteurs antiques que j’ai copiés au Louvre ?
Je reste dans votre cadre qui entoure tendrement ce fantasme saturé. Y aura-t-il un assemblage tridimensionnel de ces images hétéroclites? Ou la peinture va-t-elle lisser les strates temporelles qui s’entrechoquent dans cet espace imaginaire ?
Je m’apprête à plonger dans la pénombre de la mémoire. Crépusculaire, le désir a quitté la chair et se réfugie dans mes pinceaux, mes ciseaux, la mise en scène d’une nuit où les corps des hommes s’offrent et se contemplent.

 

Photo Marc Domage

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