JENNIFER CAUBET | Point Oméga

In situ 7 septembre 2017 - 14 octobre 2018

Écosystème traversé de forces géologiques et de flux énergétiques, lieu de contre-cultures et de modes de vie alternatifs, le désert californien Mojave est aussi colonisé par des machines et des dispositifs invasifs. Nul hasard si ce territoire a inspiré tant d’artistes et de cinéastes aux projets utopistes et aux récits postapocalyptiques.
Pendant un mois, Jennifer Caubet l’a à son tour exploré, poursuivant ainsi sa pratique tout en la déplaçant radicalement : si elle s’emparait jusqu’à présent de l’espace du white cube, à l’aide de flèches tirées l’arc et de structures métalliques pour définir des «enclaves disponibles», l’artiste s’ancre cette fois ci dans un espace d’ores et déjà marqué par diverses stratégies d’occupation des sols, où l’utopie rejoint souvent la dystopie. La dimension politique et fictionnelle de ses précédents travaux, dont les états de repli et d’extension exprimaient diverses manières d’«être au monde», s’en voit comme exhaussée et décuplée. Tout commence donc ici sur le terrain : équipée d’une carte et d’une boussole, Jennifer Caubet en a extrait des coordonnées et des lignes de déploiement à la fois réelles et imaginaires. Autant de dessins dans l’espace assimilables à des desseins, au sens de projets, de visées et de tentatives d’emprise sur un territoire a priori insaisissable. On les retrouve notamment dans Below the sea level et Cairn, deux ensembles de sérigraphies réalisées à partir des scans et photos de lieux largement exploités et balisés par l’Homme ; d’une part, les lacs de Badwater et Salton Sea, situés au dessous du niveau de la mer, l’un asséché et l’autre en cours d’assèchement en raison du détournement de leurs eaux et d’un taux trop élevé de pollution ; d’autre part, des objets criblés de balles comme on en trouve beaucoup à Joshua Tree, le long d’Enchanted Road, où se réunissent de nombreux amateurs de tir aux fusils. Avec leur échelle indiscernable, comme situées entre micro et macro-espace, ces sérigraphies finement texturées s’apparentent à des topographies à la frontière de l’abstraction mais néanmoins quadrillées d’abscisses et d’ordonnées. Une manière de prendre acte de comportements et d’activités humaines devenus cartes, prenant pour cible et paramétrant de vastes étendues selon des logiques de préhension et d’épuisement des ressources. Synonymes d’une mainmise et d’un contrôle sur l’espace, ces grilles de coordonnées enserrent également les images de Lockart et de Yucca Mountain (Location of lignes) – ancienne base militaire, terrain d’essais nucléaires et futur lieu de stockage de déchets radioactifs –, et se déploient sous forme de tissage dans Exploration fonctionnelle, où l’entrecroisement des fils délimite une trame possiblement illimitée. La notion de trame rejoint ici les grilles et quadrillages cartographiques, comme inscrits dans une même logique d’emprise spatiale et de prolifération modulaire. C’est du moins ce que donnent à penser les vues tremblées d’Ivanpha (City of Light), une centrale solaire au sud de Las Vegas dont les milliers de miroirs entourant des tours hydrauliques évoquent une trame urbaine tentaculaire, telle une ville du futur unitaire, modulable et indépendante énergétiquement. En somme, une mégastructure digne d’un film de science-fiction dont Jennifer Caubet transpose les principes avec Point Omega : soit trois sculptures de verre et d’acier, basées sur la permutation combinatoire d’un même module, apparaissant comme la partie émergée d’un réseau invisible et potentiellement infini. Réseau spatial mais également énergétique : en effet, le flux d’eau qui circule dans chacune d’elles est activé par un panneau solaire mesurant la densité lumineuse de la galerie, sensible aux moindres passages-obstructions des spectateurs qui en modulent ainsi involontairement l’intensité. À la fois autonomes et en prise direct sur l’espace dont elles puisent l’une des principales ressources, elles ne manquent pas de rappeler les lacs asséchés de Badwater et de Salton Sea. En elles se croisent ainsi les pôles antinomiques d’une conquête territoriale partagée entre désir d’émancipation et force d’entropie. Le Point Oméga de l’humanité est ici le nom de cette rencontre paradoxale

Sarah Ilher-Meyer

Avec le soutien aux galeries / première exposition et à la recherche / Production artistique du Centre National des Arts Plastiques

Communiqué de presse (PDF)

commissaire : Sarah Ilher-Meyer

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